Les soins de santé modernes commencent par l’électricité:
Perspectives de Goma, République Démocratique du Congo de l’est
Écrit par Samuel Miles, Jessica Kersey, Gina Cady, Laura Kwong et Daniel Kammen
L’électricité est essentielle pour la prestation des services de santé modernes. Nulle part ailleurs cela n’est peut-être plus ressenti qu’à Goma — la capitale de la province du Nord-Kivu de la République Démocratique du Congo (RDC) — où le conflit armé persiste depuis plus de trois décennies entre les acteurs étatiques et non-étatiques à travers la région des Grands Lacs africains.
Les établissements de santé de Goma répondent aux besoins d’une population qui a rapidement augmenté avec l’arrivée de plus de 600 000 personnes déplacées par la résurgence du groupe rebelle M23 en 2022.
La situation est encore compliquée par le manque chronique d’électricité fiable et de bonne qualité dans les 838 établissements de santé de la province.
L’électricité dans la zone [Zone de Santé] est quasiment inexistante… nos structures sont équipées d’échographes, d’appareils d’imagerie et d’autoclaves pour la stérilisation, mais nous ne pouvons pas utiliser ces appareils car nous n’avons pas de source d’énergie capable de les exploiter.” — Médecin-Chef de Zone
Les établissements de santé dépendent d’appareils électriques pour une variété de services essentiels; les pannes et les périodes de fluctuation de tension peuvent par conséquent être une question de vie ou de mort. Pendant les interventions chirurgicales d’urgence et de routine, l’électricité assure l’anesthésie, la surveillance des patients et de nombreuses autres fonctions indispensables au maintien de la vie. Les équipements de laboratoire nécessitent de l’électricité pour presque tous les diagnostiques, comprenant les analyses de sang ou l’inspection des échantillons. Les concentrateurs d’oxygène électriques fournissent un soutien essentiel en cas de réanimation d’urgence, de maladies cardiaques et de problèmes respiratoires.
Une absence d’énergie électrique fiable oblige les établissements de santé à dépendre des combustibles fossiles, de la biomasse et du travail manuel comme sources d’énergie alternatives. Par exemple, une pratique courante pour la stérilisation des instruments médicaux (une tâche généralement effectuée par autoclave électrique) consiste à l’usage d’une « cocotte à pression » — une casserole d’eau chauffée au charbon de bois.
Les groupes électrogènes constituent un autre système d’énergie critique pour les structures, mais ils représentent une solution coûteuse et polluante. Dans un hôpital d’Oicha (une ville très peuplée mais isolée et sans réseau), le coût du diesel pour les groupes électrogènes s’élève généralement en moyenne à 3 000 USD par mois. Une analyse coût-bénéfice de Power Africa en 2024 révèle que l’approvisionnement en équipement des établissements de santé en Afrique subsaharienne avec des systèmes photovoltaïques est deux fois plus rentable que l’utilisation de groupes électrogènes face aux pannes de réseau électrique.
« Nous avons des infirmières qui utilisent les lampes de poche de leur téléphone pour insérer des perfusions pendant les pannes », explique Gaston Lubambo, médecin-chef de Division Provinciale de la Santé du Nord-Kivu. Les solutions palliatives comme celles-ci peuvent introduire une contamination dans les salles de traitement.
Les électriciens et les techniciens des structures sanitaires, chargés de diriger le flux d’électricité limité là où il est le plus nécessaire, constituent les rouages invisibles du système sanitaire. Cela inclut la commutation manuelle plusieurs fois par jour entre différentes sources d’énergie telles que les connexions au réseau, les panneaux solaires ou les groupes électrogènes pour répondre aux besoins de la structure sanitaire tout en minimisant les coûts énergétiques. Pour les installations dépourvues de systèmes de secours, en particulier, les techniciens doivent trier les besoins et prendre des décisions sur la manière de distribuer l’électricité limitée. Dans de nombreux hôpitaux, cela se fait manuellement : si une opération d’urgence est nécessaire, un chirurgien doit appeler le technicien pour rediriger l’électricité de la maternité, du laboratoire ou de l’administration jusqu’à la salle d’opération.
Les recherches menées par l’Université de Californie, Berkeley et RCHA-RDC ASBL (Research Center for Humanitarian Aid, une organisation non gouvernementale basée à Goma), en partenariat avec la Division Provincial de la Santé (DPS) et l’Autorité Régulatoire de l’Electricité (ARE), ont démontré à quel point la qualité de l’approvisionnement en électricité est variable. Avec le soutien de l’Alliance HETA de Power Africa, et en partenariat avec des acteurs privés tel OffGridBox, l’équipe a déployé plus de 50 capteurs nLine dans 25 installations du Nord-Kivu, aussi bien que des kits solaires sur dix sites prioritaires dans des zones de santé reculées et isolées à travers le pays. L’équipe a constaté que certains établissements de santé connectés au réseau subissaient jusqu’à neuf heures de panne chaque jour. En termes de tension, l’alimentation électrique d’un des établissement était en dehors de la plage tolérée (± 10 % de la tension nominale de 230 volts) pendant plus de 21 heures par jour en moyenne, ce qui limitait la possibilité d’utiliser des équipements médicaux vitaux.
Ces tendances, et leur impact sur la prestation de soins de santé, sont largement invisibles dans bon nombre des normes actuelles utilisées par les partenaires de développement durable de l’électrification et de la santé. Jusqu’à ce jour, ces indicateurs évaluent la fiabilité de l’électricité dans les hôpitaux au moyen d’un questionnaire d’enquête qui demande aux répondants s’il y a eu une panne de courant d’une durée supérieure à deux heures la semaine précédente. La capacité de ce schéma conceptuel de la fiabilité à donner des informations pratiques sur la qualité de l’approvisionnement en électricité est limitée, étant donné que, par exemple, des patients sous anesthésie dans les soins intensifs peuvent mourir en moins de dix minutes sans oxygène assuré par le courant.
Des solutions existent.
Le potentiel des systèmes énergétiques renouvelables et décentralisés pour révolutionner les soins de santé en RDC et dans les communautés à faibles ressources mondialement est énorme. La complémentarité de l’électricité et de la numérisation crée un cercle vertueux dans lequel les services énergétiques soutiennent la prestation des services sanitaires. Cette synergie favorise l’analyse des données énergétiques et biomédicales et permet une modernisation rapide des prestations de soins de santé — de l’accueil du patient, à sa facturation, et au suivi post-traitement.
Le consortium de partenaires vise maintenant à étendre cette approche fondée sur la participation, la recherche, l’action et le plaidoyer à 100 établissements de santé de la province du Nord-Kivu afin de démontrer son évolutivité. En outre, l’Alliance HETA a pour objectif de connecter 10 000 établissements de santé en Afrique subsaharienne pour contribuer à trouver des solutions de marché améliorant les infrastructures de santé et les prestations de services. HETA est unique parmi les programmes de Power Africa par sa portée et par ses liens étroits avec les priorités mondiales en matière de santé. Cela permet à HETA de puiser dans un réseau diversifié de co-financeurs, de partenaires de mise en œuvre, de leaders d’opinion et d’acteurs des secteurs public et privé, y compris les champions de l’USAID issus de nombreuses parties de l’Agence.
Nous avons l’opportunité de montrer que l’énergie est la source de tous les aspects du développement. Ma vision est non seulement de fournir de l’énergie grâce à des modèles économiques durables dans tous les établissements de santé des zones sans électricité en République Démocratique du Congo, mais également aux ménages via des mini-réseaux afin de promouvoir la santé mais aussi la résilience globale de la communauté », déclare Jackson Mughuma, Directeur Général et fondateur de RCHA.
Ce modèle de partenariat privé-public-ONG, en cas de succès, démontrera la viabilité du système de financement et sa capacité de fournir une électricité fiable et de haute qualité à des centaines de milliers d’établissements de santé dans des zones géographiques à faibles ressources fonctionnant actuellement dans l’obscurité.